Diana d’un monde à l’autre

Beauté !
C’est la première chose que j’ai pensé en découvrant cette nouvelle BD de Bande d’ado (Bayard).

C’est l’histoire de Diana qui va rendre visite à ses grands-parents et espère cuisiner des palacinkes avec sa grand-mère dont c’est la spécialité. Son grand-père est malade et parle dans un demi sommeil du rocher-qui-sent_mauvais. Étrange. Pour cuisiner avec sa grand-mère, Diana part en forêt et là… elle va découvrir un monde étrange et féérique. Cet endroit délicatement incroyable est pourtant en symbiose avec notre monde à nous, ce qui le met en danger. Diana devient ainsi un pont entre deux réalités.


Pour moi, cette bédé est une fable écologique qui sensibilise les lecteur.ice.s aux ravages de la pollution à l’échelle d’une rose. Elle a la douceur et l’onirisme de la poésie. Et, en même temps (comme dirait l’autre), les personnages sont humains, réels. On se projette immédiatement dans le quotidien dans cette maison qui n’est pourtant évoqué qu’en quelques pages. Diana est une jeune ado, entre deux. Elle est donc la personne parfaite pour enjamber ce fossé entre réalité et poésie pour peut-être inventer de nouveaux ponts.

Les dessins sont superbes. Les couleurs, les courbes, chaque case ou presque pourrait être tirée comme une illustration a encadrer sur un joli mur blanc au dessus d’un ficus foisonnant. On a envie de rester dans ce livre, de s’y installer. On est happés par les aventures de Diana et presque jaloux de son expérience.


Ce livre réussi l’exploit (selon moi) de parler de protection de la nature sans donner envie de pleurer sur l’état du monde. Et ce n’est pas rien. En bref, Diana d’un monde à l’autre est une excellente raison de s’asseoir contre une fenêtre pour rêver un peu.

Diana d’un monde à l’autre
Autrice : Kalina Muhova
Traductrice : Marie Giudicelli
Edition : Bayard
Collection : Bande d’ados
56 p.

Crevette d’Elodie Shanta

Crevette c’est une petite sorcière qui prépare l’examen d’entrée à l’école de sorcellerie. Elle l’a raté plusieurs fois déjà et elle commence à perdre confiance en elle MAIS ses amis Joseph le petit démon collecteur d’âme et Gamelle le chat lettré décident de l’aider ! Ils l’accueillent dans leur manoir et vont l’aider à passer l’examen !



Les dessins sont doux et enfantins, ils donnent l’impression d’explorer un jeu vidéo féérique et drolatique au cœur de la forêt. Chaque planche s’adapte graphiquement aux aléas du récit. Pour évoquer l’immensité de la bibliothèque de Gamelle, Elodie Shanta remplit la double page d’étagères pleines de livres qui semblent déborder de la planche. Quand elle nous montre les sorts et sortilèges que Crevette doit apprendre, l’autrice dessine une recette de cuisine et flèche les ingrédients et récipients nécessaires à l’apprentie sorcière. On se repère très bien dans ce monde de châteaux, de manoir, de forêt et d’école de sorcellerie grâce à des plans des lieux et des paysages pour qu’on puisse accompagner les personnages partout. C’est un livre avec plein d’entrées différentes et chouettes qu’on picore au fur et à mesure de la lecture en bondissant de l’une à l’autre au fil des cases.


Tout au long du livre la lecture est rythmée par les sentiments, questionnements et découvertes de Crevette. Elle découvre l’amitié, elle fait des efforts pour atteindre son rêve, les personnages prennent soin les uns des autres. Cette bédé se lit comme un roman initiatique à hauteur d’enfant. Il peut se lire à tout âge car les différents niveaux de lectures et de thématiques interpelleront des choses différentes chez les plus jeunes et chez les grands (les adultes quoi).

Et quelques mois après avoir fini Crevette, je découvre qu’est sortie une deuxième BD Crevette, les premières années ! Joie immense d’ouvrir ce deuxième tome des aventures de la petite sorcières qui en plus vient nous raconter la jeunesse de cette petite personne qui n’est déjà pas bien grande dans Crevette. Je l’ai dévoré aussi.

Tous les enfants et les adultes devraient avoir la chance de s’embarquer pour rêver en lisant, regardant, écoutant ces deux livres. Le dessin respire l’imaginaire de l’enfance. Il est délicieux de se plonger à l’intérieur et de se laisser emporter dans les sautillements des personnages dans ces paysages enchantés.

Scénario, dessin et couleurs : Elodie Shanta
Editeur : La Pastèque
140 p.

La princesse guerrière, un conte inspiré du floklore russe d’Alexander Utkin

C’est beau. J’ai acheté cette BD presque par hasard, parce que sa couverture solaire et sa promesse d’aventure semblaient correspondre à ce qui manquait dans cette journée de bitume gris. Et les couleurs éclatantes de la couverture tiennent leurs promesses à l’intérieur. Dès la première page, Gamaïoun, un oiseau magique bleu et doré nous annonce qu’il va nous raconter une histoire, et on se laisse emporter.

La bande dessinée se découpe en chapitres comme autant d’histoires qui assemblées créent un univers merveilleux : La fille, dans la cabane sur pattes de poulet, le cadet, tu perdras ta tête…
La construction visuelle est mise au service de l’histoire, son rythme, ses mystères et ses paysages. Quand le scénario, étonne, interroge ou émerveille, l’auteur déploie de grandes cases qui nous happent au côté des personnages. Quand les actions s’accélèrent ou s’enchaînent il divise parfois sa page en plusieurs petites cases comme autant de strips d’un dessin animée. Les couleurs varient aussi de la forêt magique au château du roi de l’île du Sud. Il s’envole, s’efface et réapparait dans de superbes effets de transparence ou alors s’assagit, s’aplatit et les couleurs sont plus franches, les lignes plus définie. Le dessin nous fait passer d’un univers à un autre.

Mais que raconte ce livre ? Des aventures de chevaliers, de méchante belle mère, de pomme d’or, de courage, d’amour, d’entraide, de soldats en bois et d’oiseau-nagaï. Jouant des codes du conte, du mythe, ou du récit épique, l’auteur nous entraîne avec lui à la suite de ses personnages et de leurs quêtes. Les bons sont testés et récompensés (mais pas tout de suite), les mauvais sont punis (mais pas toujours).

J’aime les récits fondateurs, les mythologies, les arbres de contes. Et ce livre nous happe, nous plonge dans l’extraordinaire, le différent. Baba Yaga, sorcière-magicienne puissante, loyale et méfiante au coeur du livre semble tenir les fils du destins des autres personnages et les regarde évoluer autour d’elle.

Je ne me lasse pas de regarder les dessins aux couleurs oniriques et éclatantes où chaque case ou presque pourrait être encadrée dans un cadre doré et affichée sur un mur blanc dans un rayon de soleil.

Et ce superbe bouquin est sélectionné au Festival d’Angoulême : Sélection jeunesse 12-16 ans !

Auteur/dessinateur : Alexander Utkin
Éditeur : Gallimard bande dessinée
163 p.

Mamas. de Lili Sohn.

mamas« Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel ». Avec son sous titre et ses couleurs fluos la BD de Lili Sohn attire l’œil de la femme en colère et de l’enfant aux mains pleines de feutre en moi! Enfin! Quelqu’un qui écrit que l’instinct maternel est … construit.

« Tu verras ça réveillera quelque chose en toi »
« Tu verras toutes les femmes le ressentent »
« Tu ne peux pas nier que les femmes ont un lien immédiat avec les enfants »
« Toutes les femmes aspirent à devenir mère, c’est en elle. »
« Toutes les femmes gnagnagna… »

Toute ma vie j’ai entendu ce discours. Toute ma vie (pas super longue hein, mais j’ai commencé jeune!) j’ai répété, vous n’en savez rien, PAS toutes les femmes, je verrai, laissez moi et même si je n’en veux pas ou si je ne ressens pas cette plénitude dont vous parlez ça ne fera jamais de moi – ou de qui que ce soit – une moins-femme, une moins-féminine.

Et pourtant… ça me faisait peur un peu quand même, cette injonction à ressentir NATURELLEMENT un épanouissement lié à la parentalité. L’injonction à la Nature (« tu verras ça se fera tout seul ») c’est quelque chose de particulièrement angoissant : si c’est naturel, et que je ne le ressens pas, alors… je ne suis pas normale! Si?

Mais… never judge a book by its cover, je me lance dedans avec réserve, tant d’articles aux titres révolutionnaires finissaient expliquant la (les?) faute(s?) des mères, les « réflexes » féminins liés à la maternité, bref l’instinct maternel comme évidence et (bien entendu) les femmes qui en sont dépourvues comme « manquant » quelque chose, « anormales ».

Lili Sohn commence par interroger la femme et la mère… Sont-elles forcément liées? Pourquoi sont-elles toujours associées ? Existe-t-il un choix ? (spoiler alert : oui)
Et l’autrice de nous entraîner dans les méandres de l’histoire des femmes et des hommes, de la parentalité, est-ce une vérité historique « naturelle » que les femmes s’occupaient des enfants pendant que les hommes chassaient le mammouth ? (Et vous savez quoi? C’est plus compliqué que ça!)

Au fur et à mesure du livre, au fil d’illustrations drolatiques et acidulées l’autrice se demande :

Est-ce que je trahis le féminisme ?
Est-ce que je retourne à l’état de nature?
Est-ce que je suis biologiquement programmée ?

Elle interroge aussi la pression sociale, le désir d’enfant, la place des pères, comment une femme devient mère… Et enfin ce que signifie « Faire famille » aujourd’hui, hors hétéronormativité sociale et biologie  ? Bref, est-ce que les enfants sont l’affaire des femmes?

Lili Sohn/Mamas/ castermann

 

Une Bd merveilleuse et didactique grâce à laquelle Lili Sohn m’a réconciliée avec mon féminisme et mes contradictions. Elle montre que c’est normal de vouloir être indépendante, de ne pas se sentir coupable de laisser son enfant à quelqu’un d’autre pour aller travailler, que c’est normal aussi de se sentir coupable de le laisser 20 minutes, que c’est normal de vouloir rentrer en courant respirer l’odeur de sa petite tête, où de vouloir rester au bar reprendre une bière, que c’est normal de vouloir un enfant viscéralement ou que c’est normal de ne pas en vouloir. Elle montre surtout qu’il n’y a pas de normes (et donc, une fois la réalité posée comme hors des normes… tout est normal!), il y a des constructions sociales, des hormones, des traditions, des injonctions, des envies, des peurs, des désirs, des angoisses, des évidences et des questions, bref des humains. Et ce qui est dingue (non) c’est qu’on peut même être mère et féministe, être childfree et femme, être mère et le regretter, être mère et adorer ça, aimer ses enfants et vouloir les abandonner et même… changer d’avis !

Les dessins sont drôles, faciles d’accès, le trait varie entre le cartoon pour Lili et un trait réaliste pour les infos historiques ou sociales. Les couleurs fraiches donnent un ton joyeux à l’ouvrage, qu’on dévore avec rage et ravissement.

 

Texte, dessin, couleurs : Lili Sohn

 

 

 

La fille dans l’écran par Lou Lubie et Manon Desveaux

par Lou Lubie et Manon Desveaux. MarabullesMerveille, pépite, douceur. Une BD doudou à ranger au pied de son lit pour la relire quand on a un coup de mou, un coup de blues, un coup de cœur,…

Ça faisait bien longtemps que je n’étais pas sortie aussi heureuse d’une bande dessinée. Oui, je « sors » des bandes-dessinées après avoir plongé dedans avec plus ou moins de succès. Celle-ci m’a happée, enveloppée. Les deux héroïnes Coline et Marley m’ont entraînée dans leur relation, leurs quotidiens, leurs questionnement, leurs envies et leurs doutes. Leurs envies de créer aussi, par la photo ou le dessin, elles saisissent le monde de biais, selon leur point de vue.

Cette Bd est construite à deux « voix ». Les planches en noir et blanc de Lou Lubie alternent avec celles aux couleurs automnales de Manon Desveaux. Les conversations par messagerie instantanées sont très bien représentées, elles pop naturellement au fil de l’histoire comme elles le font dans nos vies aujourd’hui. Cette conversation avec quelqu’un à l’autre bout du monde, parfois décousue mais qui ne cesse jamais et s’insère dans notre quotidien avec naturel, évidence même. Comme un fil continu, intime au fond de notre poche.

 

Bref je n’en dis pas plus, une bande dessinée à lire pour se faire du bien, toute douce, faite de quotidien et d’échanges.

Autrices : Lou Lubie, Manon Desveaux
Illustratrices : Lou Lubie, Manon Desveaux
Éditeur : Marabout
Collection : Marabulles
186 p.

 

 

 

The private eye par Brian K. Vaughan et Marcos Martin

The private eye - urban comics2026. Le web accessible à tous, chaque donnée, chaque photo, chaque recherche devient publique, tout le monde sait tout sur tout.

50 ans plus tard. Internet est mort. La vie privée est devenue le bien le plus précieux.

 

 

 

Alors, dans ce merveilleux comics, les gens se cachent. Joyeusement. Derrière des masques bariolés, des tenues extravagantes, des étoles chatoyantes. Un joyeux charivari dans les rues de ce monde post-Internet où se croisent les inconnu·e·s, incognitos.

The private eye - urban comics

pitchPetit pitch.
Dans cette foule, XXX a trouvé un moyen de se faire de l’argent : s’informer. Détective privé, il suit ses « cibles » et les photographie avant de vendre les informations ainsi glanées à ses clients. Mais bien sûr, un jour, ca tourne mal.

 

Dans ce comics, le dessin et les couleurs en aplat vous explosent à la figure comme une farandole bigarrée infernale. Les costumes évoquent tout de suite l’univers des super-héros·ïnes américain·e·s, tout comme les vues en plongée et en contre plongée sur les buildings de la ville sous des ciels fantasmagoriques et éclatants.

The private eye - urban comics

Côté scénario, Brian K. Vaughan nous offre un bijou d’anticipation féroce, ironique et sans concession sur la nature humaine. Mais c’est aussi, comme souvent avec Vaughan, une ode à la complexité des humains et aux ressources qui existent, quelque part, si on se donne la peine de les mériter (ou alors c’est moi qui voit ça parce que j’ai une foi inconditionnelle dans l’humain et les personnages de bande-dessinée, who knows?)

Bref un excellent comics qui vous happe dans ce futur qui ne paraît pas si loin, pas si différent, et pourtant! A lire absolument!

Scénario : Brian K. Vaughan
Dessin : Martin Marcos
Couleurs : Vicente Muntsa
Lettrage : Christophe Semal Laurence Hingray
Traduction : Jérémy Manesse

Fille d’Œdipe de Marie Gloris et Gabriel Delmas

6pieds. Marie Gloris Bardiaux-Vaiente Gabriel Delmas photo ALB

6 pieds sous terre. Marie-Gloris Bardiaux-Vaiente – Gabriel DelmasIl n’est jamais trop tard pour recommencer. Après moultes tergiversations et une (très) longue pause dans l’écriture de ce blog, je décide de réessayer ! Parce qu’il y a tant de BD dont il est essentiel de parler, encore plus de BD qu’il est impératif de lire et surtout parce que ca vaut toujours le coup de tenter d’ouvrir un livre au hasard pour voir ce qui se passe…

Aujourd’hui, Fille d’Œdipe. Pourquoi ce livre ? Pour le titre, pour le mythe, pour le 4ème de couverture :

Toujours le sexe des femmes
a inspiré de la peur aux hommes
comme si leur chair était un monstre
dont ils devaient se protéger.
Antigone

Ça se pose là.

Alors on se lance et on entre dans un monde en noir et blanc, surtout en noir, où le trait du dessinateur, Gabriel Delmas, trahis les sentiments de l’héroïne intemporelle : Antigone. Son visage, son corps, ses cheveux, esquissés avec tendresse sont quasiment jetés au visage du lecteur comme une évidence. Oui, Antigone est une femme. Oui, elle n’est ni une harpie, ni une princesse de conte de fée. Oui, elle existe simplement, elle est là et… elle pense. Et c’est bien ce qui va poser problème. Mais là on entre dans le scénario.

Marie Gloris Bardeaux-Vaiente Gabriel Delmas 6pieds

Le dessin tourne essentiellement autour des personnages, gros plans sur les visages, sur les gestes. Opposition des corps des deux frères, apposition de celui des deux sœurs. Solitude de Créon.

Le scénario nous raconte l’histoire d’Antigone. Mythe connu, et toujours raconté à nouveau, réinterprété. Les atermoiements des personnages, leurs questionnements, leurs principes et leurs combats nous touchent, nous interrogent, nous dérangent.

http://6pieds-sous-terre.com/collection-blanche/gabriel-delmas-marie-gloris-bardiaux-vaiente-fille-d-oedipe/-u2719

 

pitchRapidement, le « pitch »
Quand Œdipe réalise qu’il a – sans le savoir– assassiné son père et épousé sa mère,
il se crève les yeux et part sur les routes avec sa fille Antigone, il meurt en exil, Antigone rentre à Thèbes. 
Ses deux fils restent à Thèbes où ils sont censés régner chacun leur tour, un an sur deux. Au bout d’un an, Polynice revient pour régner mais Étéocle refuse de lui laisser le trône. Les deux frères s’entretuent. Créon, l’oncle d’Œdipe, devient roi. Il enterre Étéocle avec les honneurs et abandonne Polynice aux corbeaux: deuil interdit. Antigone trouve absurde et injuste cette justice terrestre et elle va le dire. 

 

Antigone décide d’enterrer son frère malgré tout. La bande dessinée ne nous montre pas une jeune fille écervelée, elle ne nous montre pas non plus une femme politique accomplie. Quand les gardes viennent chercher Antigone, elle est nue. En vérité devant eux. L’honnêteté brute et femme en chair face à la politique des hommes.

On s’interroge, comment sortir du rôle qui nous est attribué à la naissance, ce « destin » dont toute la famille d’Antigone a été victime. Qui écrit cette destinée ?  Cette bande dessinée nous raconte l’histoire d’une femme qui dit non. Simplement, et avec panache.

À lire et à laisser trainer pour que tout le monde l’attrape, l’ouvre au hasard et se prenne les petites phrases d’Antigone et le noir du trait dans la tête.

poing

 

Autrice : Marie Gloris Bardiaux-Vaiente
Dessinateur : Gabriel Delmas
Éditeur : 6 pieds sous terre
59 p.
20 €

Les cinq Conteurs de Bagdad par Fabien Velhmann

Photo alh

Dargaud/Velhman/Duchazeau/WalterUne histoire en mille. Le Calife organise un concours de contes. Dans trois ans, mille et un conteurs se rassembleront à Bagdad pour dire leur histoire. Le meilleur sera récompensé, le dernier, exécuté.

Cinq conteurs décident de partir ensemble autour du monde se nourrir des contes enfouis parmi les humains. Découvrir, apprendre, explorer, écouter, pour créer, tous ensemble le meilleur conte jamais raconté. Seulement, avant de partir ils consultent le marc de café pour apprendre sous quels augures se place leur voyage et la prédiction s’avère très (trop?) précise et le voyage prend une toute autre épaisseur. Les cinq conteurs bardés de qualités et de défauts oscillent entre clichés personnifiant les sentiments les plus courant, ressort classique du conte, et être humains complexes grognons, attachants, naïfs  ou en colère.

dargaud/Velhman/Walter/Duchazeau

L’histoire de Fabien Vehlmann vient nous chercher là où on ne l’attend pas. Sur le ton du conte, suivant une structure narrative extrêmement classique appuyée sur une multitude de mises en abymes, l’auteur s’interroge sur les rapports humains, notre rapport à l’avenir, la part de liberté et d’interprétation de chacun. Les éléments attendus sont amplifiés ou au contraire renversés selon les envies de l’auteur ou l’objectif de son propos. On se laisse emporter dans ce conte qui en abrite d’autres, tout en réfléchissant sur les origines, le sens et le but de la transmission des histoires à travers les âges ou les cultures. Avec en toile de fond toujours la même question quel est le véritable rôle des contes ? Divertir ou changer le monde ?

VELHMAN/DUCHAZEAU/WALTER/DARGAUD

L’histoire est accompagnée par le trait de Frantz Duchazeau et les couleurs de Walter qui nous attirent dans un univers oriental, entre conte, fable et légende aux couleurs parfois lumineuses, souvent crépusculaires. Une belle lecture, toute douce, à lire sous la couette, en se laissant aller à voyager.

Scénariste : Fabien VEHLMANN
Illustrateur : Frantz DUCHAZEAU
Coloriste : WALTER
Éditeur : Dargaud (coll. Long courrier)
68 p.

Le collectionneur de briques de Pedro Burgos

Pedro Burgos/6 pieds sous terreSe (re)construire une brique après l’autre. Valerio, architecte en retraite forcée suite à la faillite de son cabinet refuse d’abandonner. Alors il transporte des briques. Il pousse sa brouette dans les rues de Lisbonne. Il avance. Il s’accroche à ce dernier projet : réhabiliter l’immeuble familial.

Mais. Que penser d’un homme qui transporte des briques à longueur de journée avant de les empiler selon une logique mystérieuse dans la cour de son immeuble ? Comment comprendre ce comportement ? Comment l’appréhender ? Son gendre le pousse à vendre (appât du gain ou sincère inquiétude ?), ses voisins le prennent pour un fou, heureusement il y a Chiara. Elle travaille au SAMU social lisboète, elle s’intéresse, elle essaye de comprendre. Elle est là.

Hors le drame (au sens théâtral) personnel, l’auteur peint en creux, entre tendresse et colère, un Portugal en crise. La misère sociale, la ville qui s’effrite.  Dans ce paysage urbain hachuré en noir et blanc, esquissé par de simples lignes on sent les liens se distendre, les gens s’éloigner les uns des autres, le vide remplir l’espace. Le dessin joue  sur les vides et les creux. Des myriades de lignes, droites, sobres, libérées des cases traditionnelles créent les contours d’une ville oscillant avec sa propre disparition, son étiolement.

Un ouvrage court, simple, percutant et poétique qui laisse rêveur. Par son dessin et à travers cette histoire l’auteur semble nous interroger : l’Europe s’étiole, les liens se desserrent, la solidarité devient exceptionnelle,… on a la responsabilité de nos choix, bâtisseurs ou spectateur.

Parue chez l’éditeur 6 pieds sous terre, en couverture cartonnée, cette BD à la forme de son contenu. Sobre, sensible, incisive.

Auteur, illustrateur : Pedro Burgos
Éditeur : 6 pieds sous terre
56 p.

 

 

 

VERDAD de Lorena Canottiere, ou les couleurs de la vérité

Verdad, reparaçion y justicia

Guerre d’Espagne.
18.07.1936 – 01.04.1939
~ 400 000 morts

Dictature franquiste
1939-1975

Lorena Canottiere. Ici mêmeL’histoire commence dans un petit village espagnol. Retour au bercail pour Verdad. Mais pas de douceur, de mélancolie nostalgique. Quelques gestes simples, elle revient pour la guerre.

Face au franquisme, de jeunes républicain·e·s, communistes, anarchistes, résistant·e·s, prennent les armes. Cette histoire nous raconte ce combat d’un pays mais aussi la bataille personnelle de Verdad. La poursuite de l’image de sa mère partie trop tôt, la fuite de sa grand-mère incarnation carcan de l’immobilisme. La politique d’un côté, la morale de l’autre, et Verdad, la vérité, à construire. Enfin, toujours, cette image du Monte Verità, où sa mère a vécu, inventant une nouvelle manière de vivre. Cet endroit qui peu à peu devient la métaphore d’un avenir possible, l’incarnation d’un mieux. L’espoir. Objectif ? Ou mirage ?

L’histoire nous parle aussi de philosophie. Pourquoi se battre ? Comment savoir que le combat est fini ? Verdad c’est la lutte incarnée. La jeune femme est devenue résistance.

Lorena Canottiere nous attire dans son dessin au crayon grâce à une explosion de couleurs, un trait incandescent où les tons chauds se répondent à l’intérieur même des personnages. Le trait vif s’arrondit pour raconter la forêt, la montagne. Le traitement des éléments végétaux du décor évoque parfois l’art nouveau ou les estampes japonaises, il est précis et pourtant entièrement sauvage.

Par endroits, l’incendie s’éteint, s’essouffle et laisse place à de grandes planches noires et blanches avec quelques touches de rouge, de bleu. Passages proches de la fable où l’autrice s’éloigne du récit pour entrer dans l’aphorisme. Respiration.

Pour cette BD, Lorena Canottiere a reçu le Grand Prix Artemisia qui récompense chaque année  un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes afin de faire émerger les talents féminins dans le paysage de la BD aujourd’hui. Leurs sélections sont toujours très chouettes. L’année dernière, Le problème avec les femmes avait obtenu le prix Humour Artemisia, je vous en parlais ici.

Un livre incandescent qu’on a envie de relire pour le toucher des pages, la beauté lumineuse du dessin, les méandres des histoires qui se mêlent et se démêlent au fil de planches explosives et d’une écriture sobre. N’hésitez plus !

Lorena Canottiere/Ici même

Scénariste/Dessinatrice/Coloriste : Lorena Canottiere
Éditeur : Ici même
160 planches