Mamas. de Lili Sohn.

mamas« Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel ». Avec son sous titre et ses couleurs fluos la BD de Lili Sohn attire l’œil de la femme en colère et de l’enfant aux mains pleines de feutre en moi! Enfin! Quelqu’un qui écrit que l’instinct maternel est … construit.

« Tu verras ça réveillera quelque chose en toi »
« Tu verras toutes les femmes le ressentent »
« Tu ne peux pas nier que les femmes ont un lien immédiat avec les enfants »
« Toutes les femmes aspirent à devenir mère, c’est en elle. »
« Toutes les femmes gnagnagna… »

Toute ma vie j’ai entendu ce discours. Toute ma vie (pas super longue hein, mais j’ai commencé jeune!) j’ai répété, vous n’en savez rien, PAS toutes les femmes, je verrai, laissez moi et même si je n’en veux pas ou si je ne ressens pas cette plénitude dont vous parlez ça ne fera jamais de moi – ou de qui que ce soit – une moins-femme, une moins-féminine.

Et pourtant… ça me faisait peur un peu quand même, cette injonction à ressentir NATURELLEMENT un épanouissement lié à la parentalité. L’injonction à la Nature (« tu verras ça se fera tout seul ») c’est quelque chose de particulièrement angoissant : si c’est naturel, et que je ne le ressens pas, alors… je ne suis pas normale! Si?

Mais… never judge a book by its cover, je me lance dedans avec réserve, tant d’articles aux titres révolutionnaires finissaient expliquant la (les?) faute(s?) des mères, les « réflexes » féminins liés à la maternité, bref l’instinct maternel comme évidence et (bien entendu) les femmes qui en sont dépourvues comme « manquant » quelque chose, « anormales ».

Lili Sohn commence par interroger la femme et la mère… Sont-elles forcément liées? Pourquoi sont-elles toujours associées ? Existe-t-il un choix ? (spoiler alert : oui)
Et l’autrice de nous entraîner dans les méandres de l’histoire des femmes et des hommes, de la parentalité, est-ce une vérité historique « naturelle » que les femmes s’occupaient des enfants pendant que les hommes chassaient le mammouth ? (Et vous savez quoi? C’est plus compliqué que ça!)

Au fur et à mesure du livre, au fil d’illustrations drolatiques et acidulées l’autrice se demande :

Est-ce que je trahis le féminisme ?
Est-ce que je retourne à l’état de nature?
Est-ce que je suis biologiquement programmée ?

Elle interroge aussi la pression sociale, le désir d’enfant, la place des pères, comment une femme devient mère… Et enfin ce que signifie « Faire famille » aujourd’hui, hors hétéronormativité sociale et biologie  ? Bref, est-ce que les enfants sont l’affaire des femmes?

Lili Sohn/Mamas/ castermann

 

Une Bd merveilleuse et didactique grâce à laquelle Lili Sohn m’a réconciliée avec mon féminisme et mes contradictions. Elle montre que c’est normal de vouloir être indépendante, de ne pas se sentir coupable de laisser son enfant à quelqu’un d’autre pour aller travailler, que c’est normal aussi de se sentir coupable de le laisser 20 minutes, que c’est normal de vouloir rentrer en courant respirer l’odeur de sa petite tête, où de vouloir rester au bar reprendre une bière, que c’est normal de vouloir un enfant viscéralement ou que c’est normal de ne pas en vouloir. Elle montre surtout qu’il n’y a pas de normes (et donc, une fois la réalité posée comme hors des normes… tout est normal!), il y a des constructions sociales, des hormones, des traditions, des injonctions, des envies, des peurs, des désirs, des angoisses, des évidences et des questions, bref des humains. Et ce qui est dingue (non) c’est qu’on peut même être mère et féministe, être childfree et femme, être mère et le regretter, être mère et adorer ça, aimer ses enfants et vouloir les abandonner et même… changer d’avis !

Les dessins sont drôles, faciles d’accès, le trait varie entre le cartoon pour Lili et un trait réaliste pour les infos historiques ou sociales. Les couleurs fraiches donnent un ton joyeux à l’ouvrage, qu’on dévore avec rage et ravissement.

 

Texte, dessin, couleurs : Lili Sohn

 

 

 

Groenland Vertigo par Tanquerelle

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Hervé Tanquerelle/CastermanUne histoire de bateau, de grand froid, de paysages époustouflants, de marins aventureux,  de scientifique fou et d’artistes passionnés.

Une histoire de courage et d’appréhension aussi, de départ, de découvertes, de curiosité et de frayeur.

L’histoire de George Benoît-Jean, auteur de BD, qui rejoint une expédition au cœur du Groenland pour installer une mystérieuse œuvre d’art au sommet d’un iceberg.

Je dois avouer ne pas avoir lu les albums Racontars inspirés des nouvelles de Jon Riel par Tanquerelle, cette BD est donc ma première expérience dans le Grand Nord de cet auteur. Dans cette autofiction l’auteur mêle gags, introspection, discours écologique avec beaucoup de tact et de douceur. Cette bande dessinée à quelque chose des classiques de notre enfance tout en renouvelant le style de la BD franco belge en portant un regard moderne, engagé et sans concession sur les défauts de ses personnages.

casterman/Tanquerelle

Le dessin, très travaillé nous emporte au large de l’Arctique avec ses Icebergs (parfois un peu fondus), sa mer à perte de vue, ses cabanes de bois pour les trappeurs et les scientifiques et la menace du vertigo toujours planante au dessus des têtes des protagonistes. Le dessin et le scénario se mêlent pour donner lieu à un album truculent. Une expérience de lecture entre plaisir, nostalgie et découverte de grands espaces, excellent !

Scénariste : Hervé Tanquerelle
Dessinateur : Hervé Tanquerelle
Coloriste : Isabelle Merlet
Éditeur : Casterman
104 p. ; 19 €.