Mère et féministe – Les ateliers d’Alice

Cette année, j’écris. Écrire c’est maintenant (comme le changement) ce que je veux dire c’est que depuis deux ans prévoir est devenu un peu compliqué. Donc les projets se bousculent meurent avant d’exister vraiment s’improvisent à la dernière minute, s’annulent en cours de route, se transforment, fatiguent. J’ai l’impression que le gouvernement prend des décisions comme un parent d’adolescent et que j’ai à nouveau 15 ans ne pigeant rien aux règles essayant de les appliquer ou les interpréter librement selon les moments. Bref cette année j’écris avec l’atelier des mères d’Alice. Ah oui parce que je suis mère aussi (si bizarre à écrire, j’ai l’impression d’être entrée dans les ordres – et dans ce scénario je suis la boss évidemment la mère est supérieure n’est ce pas.)
Donc en atelier on a écrit sur le thème mère et féministe et ça m’a donné envie de recommencer à écrire ici. Je précise juste que ce texte est un ressenti, un récit personnel de mon point de vue de femme cis het blanche privilégiée et féministe. Il n’a pas vocation à être autre chose qu’un témoignage, une envie de sortir la rage, le bonheur, le bordel de ma tête pour les mettre plutôt ici (c’est cadeau c’est pour moi).
Si tu as fini ce prologue géant et que tu as encore un peu de temps, les vrais bails commencent ci après comme on dit dans les textes chics.

Je suis féministe et je voudrais dire à mon enfant que….
Ça c’est la consigne.

Je suis féministe et je voudrais dire à mon enfant qu’être une femme c’est génial et … ça ne veut rien dire.
Être une femme ce n’est pas être douce être forte, être adulée ou rabaissée. Être une femme ce n’est pas porter des talons, jouer au volley en culotte, avoir les cheveux courts ou long, être charmante ou hystérique. Être une femme ce n’est pas longer les murs la nuit ou danser tête haute dans une robe d’été. Ce n’est pas aimer les sciences molle parce qu’on est sensible ou avoir à prouver qu’on ne l’est pas. Être une femme ce n’est pas voir ses larmes décrédibilisées, sa colère diminuée, sa rage étouffée. Ce n’est pas aimer le rose, les fleurs, le thé. Être femme ce n’est pas être victime ou séductrice ou même les deux. Ce n’est pas douter de qui on est ou de qui on voudrait être. Être une femme ce n’est pas être un ange ou une peste, une croqueuse de diamants, un être sacrifié.
Être une femme c’est pouvoir. C’est entrer dans la sororité. C’est faire partie d’une force extraordinaire d’autres qui nous portent, nous inspirent et nous subliment. Être féministe c’est savoir. Savoir qu’être une femme c’est avant tout ce pouvoir d’appartenir.
Être une femme ca ne veut rien dire. Je l’ai toujours su. On ne m’en parlait que pour me définir. Idéaliser, mépriser, ranger de côté, réduire.
Je ne sais toujours pas définir cette drôle d’idée sûrement inventée par des hommes il y a des milliers d’années. Mais aujourd’hui ce mot me permet d’appartenir, de pousser les murs autour de ces quelques lettres que chacun se sent le droit voire le devoir d’interpréter. De les trouer ces murs, de les percer par endroits, les exploser parfois, les ignorer aussi.
Je suis féministe et j’y ai gagné la force des autres, le courage de m’en foutre, le pouvoir de t’aimer sans chercher à te définir.
Il y a tant d’autre mots plus beau, plus riches de sens. : amie, soeur solidaire, colère, ensemble, amour, humilité, puissance, présence…
Je suis féministe et je voudrais dire à mon enfant que le plus beau cadeau que cette petite boîte de cinq lettres m’a fait, c’est la sororité.

Oui, ce jour là j’étais optimiste.

Images. Les filles d’Agnès Rosenstiehl – éd la ville brûle.



Mamas. de Lili Sohn.

mamas« Petit précis de déconstruction de l’instinct maternel ». Avec son sous titre et ses couleurs fluos la BD de Lili Sohn attire l’œil de la femme en colère et de l’enfant aux mains pleines de feutre en moi! Enfin! Quelqu’un qui écrit que l’instinct maternel est … construit.

« Tu verras ça réveillera quelque chose en toi »
« Tu verras toutes les femmes le ressentent »
« Tu ne peux pas nier que les femmes ont un lien immédiat avec les enfants »
« Toutes les femmes aspirent à devenir mère, c’est en elle. »
« Toutes les femmes gnagnagna… »

Toute ma vie j’ai entendu ce discours. Toute ma vie (pas super longue hein, mais j’ai commencé jeune!) j’ai répété, vous n’en savez rien, PAS toutes les femmes, je verrai, laissez moi et même si je n’en veux pas ou si je ne ressens pas cette plénitude dont vous parlez ça ne fera jamais de moi – ou de qui que ce soit – une moins-femme, une moins-féminine.

Et pourtant… ça me faisait peur un peu quand même, cette injonction à ressentir NATURELLEMENT un épanouissement lié à la parentalité. L’injonction à la Nature (« tu verras ça se fera tout seul ») c’est quelque chose de particulièrement angoissant : si c’est naturel, et que je ne le ressens pas, alors… je ne suis pas normale! Si?

Mais… never judge a book by its cover, je me lance dedans avec réserve, tant d’articles aux titres révolutionnaires finissaient expliquant la (les?) faute(s?) des mères, les « réflexes » féminins liés à la maternité, bref l’instinct maternel comme évidence et (bien entendu) les femmes qui en sont dépourvues comme « manquant » quelque chose, « anormales ».

Lili Sohn commence par interroger la femme et la mère… Sont-elles forcément liées? Pourquoi sont-elles toujours associées ? Existe-t-il un choix ? (spoiler alert : oui)
Et l’autrice de nous entraîner dans les méandres de l’histoire des femmes et des hommes, de la parentalité, est-ce une vérité historique « naturelle » que les femmes s’occupaient des enfants pendant que les hommes chassaient le mammouth ? (Et vous savez quoi? C’est plus compliqué que ça!)

Au fur et à mesure du livre, au fil d’illustrations drolatiques et acidulées l’autrice se demande :

Est-ce que je trahis le féminisme ?
Est-ce que je retourne à l’état de nature?
Est-ce que je suis biologiquement programmée ?

Elle interroge aussi la pression sociale, le désir d’enfant, la place des pères, comment une femme devient mère… Et enfin ce que signifie « Faire famille » aujourd’hui, hors hétéronormativité sociale et biologie  ? Bref, est-ce que les enfants sont l’affaire des femmes?

Lili Sohn/Mamas/ castermann

 

Une Bd merveilleuse et didactique grâce à laquelle Lili Sohn m’a réconciliée avec mon féminisme et mes contradictions. Elle montre que c’est normal de vouloir être indépendante, de ne pas se sentir coupable de laisser son enfant à quelqu’un d’autre pour aller travailler, que c’est normal aussi de se sentir coupable de le laisser 20 minutes, que c’est normal de vouloir rentrer en courant respirer l’odeur de sa petite tête, où de vouloir rester au bar reprendre une bière, que c’est normal de vouloir un enfant viscéralement ou que c’est normal de ne pas en vouloir. Elle montre surtout qu’il n’y a pas de normes (et donc, une fois la réalité posée comme hors des normes… tout est normal!), il y a des constructions sociales, des hormones, des traditions, des injonctions, des envies, des peurs, des désirs, des angoisses, des évidences et des questions, bref des humains. Et ce qui est dingue (non) c’est qu’on peut même être mère et féministe, être childfree et femme, être mère et le regretter, être mère et adorer ça, aimer ses enfants et vouloir les abandonner et même… changer d’avis !

Les dessins sont drôles, faciles d’accès, le trait varie entre le cartoon pour Lili et un trait réaliste pour les infos historiques ou sociales. Les couleurs fraiches donnent un ton joyeux à l’ouvrage, qu’on dévore avec rage et ravissement.

 

Texte, dessin, couleurs : Lili Sohn

 

 

 

Chère Ijeawele, par Chimamanda Ngozi Adichie

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GallimardPas une BD aujourd’hui, un livre. Un tout petit ouvrage à mettre dans toutes les mains (oui toutes !), de toutes les personnes qui savent lire (et le lire aux autres!) : Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, de Chimamanda Ngozi Adichie. Je vous avais déjà parlé de cette auteure extraordinaire pour son livre Americanah.

Dans ce petit livre, l’auteure écrit à une de ses amie qui lui a demandé des conseils sur comment donner une éducation féministe à sa fille. Pour lui répondre, elle fait appel à son expérience : son éducation à elle, celle de ses ami•e•s, ses lectures, les discours des personnes qu’elle admire…. Ces conseils sont répartis en petits paragraphes et expliqués de manière très claire.

Le premier outil, c’est ton postulat de base, la conviction ferme et inébranlable sur laquelle tu te fondes. Quel est ce postulat ? Voici ce qui devrait être ton premier postulat féministe de base : je compte. Je compte autant. Pas « à condition que ». Pas « tant que ». Je compte autant.
Un point c’est tout.
Chère Ijaewele, Chimamanda Ngozi Adichie

L’écriture est fluide, douce et, selon moi, formule avec des expressions simples ce qui nous parait évident du point de vue de la raison, mais qui, quand on réfléchi à notre expérience, n’est pas toujours si appliqué dans la réalité, malgré toute la bonne volonté du monde que les éducateurs autour de nous peuvent mettre en œuvre.

Si je vous parle de ce livre aujourd’hui c’est que l’égalité hommes/femmes n’est pas (encore?) une réalité dans le monde, mais surtout dans notre pays développé qui se gargarise d’être la nation des droits de l’Homme (un indice?). C’est parce que ce petit livre de rien qui semble mettre l’évidence noir sur blanc agit comme une petite épine sous mon pied. Oh elle ne m’empêche pas de marcher, mais elle me rappelle à chaque pas que … quelque chose ne va pas.

Cet ouvrage ne dénonce pas, ne pointe pas du doigt, il souligne, il met en lumière, il expose, il nous démontre ce qu’au fond de nous, je pense, nous savons déjà. Et surtout, il met en évidence que si chacun fait sa part, ce n’est peut-être pas si difficile de changer nos modes de pensées et d’action.

Être féministe, c’est comme être enceinte. Tu l’es ou tu ne l’es pas. Tu crois à l’égalité pleine et entière entre les hommes et les femmes ou tu n’y crois pas.
Chère Ijeawele, Chimamanda Ngozi Adichie

Dans notre pays entre deux tours où les droits des femmes sont encore abordés sous l’angle d’ « aider les femmes à concilier vie familiale et vie professionnelle » et pas « aider les parents à conjuguer leurs vies professionnelles et familiales » il y a beaucoup à faire ! Mais quand la tâche parait si imposante, lire ce livre nous rappelle que nous pouvons aussi, chacun, agir autour de nous. Après tout, le monde s’améliorera si plein de gens intelligents et stylés donnent des éducations stylées et intelligentes à leurs enfants, non?

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Auteure : Chimamanda Ngozi Adichie
Éditeur : Gallimard
84 p. 8,50 €