Les cinq Conteurs de Bagdad par Fabien Velhmann

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Dargaud/Velhman/Duchazeau/WalterUne histoire en mille. Le Calife organise un concours de contes. Dans trois ans, mille et un conteurs se rassembleront à Bagdad pour dire leur histoire. Le meilleur sera récompensé, le dernier, exécuté.

Cinq conteurs décident de partir ensemble autour du monde se nourrir des contes enfouis parmi les humains. Découvrir, apprendre, explorer, écouter, pour créer, tous ensemble le meilleur conte jamais raconté. Seulement, avant de partir ils consultent le marc de café pour apprendre sous quels augures se place leur voyage et la prédiction s’avère très (trop?) précise et le voyage prend une toute autre épaisseur. Les cinq conteurs bardés de qualités et de défauts oscillent entre clichés personnifiant les sentiments les plus courant, ressort classique du conte, et être humains complexes grognons, attachants, naïfs  ou en colère.

dargaud/Velhman/Walter/Duchazeau

L’histoire de Fabien Vehlmann vient nous chercher là où on ne l’attend pas. Sur le ton du conte, suivant une structure narrative extrêmement classique appuyée sur une multitude de mises en abymes, l’auteur s’interroge sur les rapports humains, notre rapport à l’avenir, la part de liberté et d’interprétation de chacun. Les éléments attendus sont amplifiés ou au contraire renversés selon les envies de l’auteur ou l’objectif de son propos. On se laisse emporter dans ce conte qui en abrite d’autres, tout en réfléchissant sur les origines, le sens et le but de la transmission des histoires à travers les âges ou les cultures. Avec en toile de fond toujours la même question quel est le véritable rôle des contes ? Divertir ou changer le monde ?

VELHMAN/DUCHAZEAU/WALTER/DARGAUD

L’histoire est accompagnée par le trait de Frantz Duchazeau et les couleurs de Walter qui nous attirent dans un univers oriental, entre conte, fable et légende aux couleurs parfois lumineuses, souvent crépusculaires. Une belle lecture, toute douce, à lire sous la couette, en se laissant aller à voyager.

Scénariste : Fabien VEHLMANN
Illustrateur : Frantz DUCHAZEAU
Coloriste : WALTER
Éditeur : Dargaud (coll. Long courrier)
68 p.

Lucky Luke/ Jolly Jumper ne répond plus, par Bouzard

Bouzard/DargaudReprendre Lucky-Luke, héros au cœur tendre de mon enfance, désinvolture incarnée, idée juvénile du cowboy entretenue de longues années… (Une vision mignonne de la conquête de l’Ouest : personne ne meurt jamais, les méchants sont déshabillés de deux coups de revolver, s’enfuient les bretelles entre les jambes ou couverts de goudron et de plume, ou encore, sont déposés grommelant au pénitencier où les attends Rantanplan, idole des chiens policiers) ; un véritable défi.

Le cowboy solitaire a marqué des générations d’amateurs de BD, d’enfants assis en tailleurs dans les rayons des librairies, d’adultes lisant par dessus l’épaule de ces derniers, de rayons de bibliothèques dévalisés. En faire une reprise doit être une bonne partie de rigolade mais aussi la source de petites sueurs froides face à l’ampleur du personnage.

Bouzard/Dargaud

Et Bouzard l’a fait. Il nous dessine un Lucky Luke qui a pris du nez (tout en rondeur), qui tente de suivre les aléas du style pour rester « in » et surtout pour « reconnecter » avec son cheval. Car ce cowboy intemporel souffre de maux très actuels : le manque de dialogue, le besoin d’approbation de l’autre, l’envie de se rapprocher de ses proches, son proche, son cheval. Car quelle relation Jolly et Lucky ont ils vraiment ? Se comprennent-ils? Discutent-ils ? Une quête qui surprend pour le moins autour de lui.

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Au delà de cette intrigue sentimentale autour du cheval qui ne murmurait plus de bons mots, se déroule également une intrigue luckyluquesque où le héros retrouve ses ennemis de toujours pour tenter d’empêcher Jack (ou William ? Qui saurait le dire ?) de poursuivre sa grève contre la faim qui inquiète les gardes du pénitencier.

Dans cet album Bouzard s’approprie le personnage de Lucky Luke, il ne tente pas un simple postiche des premières aventures du héros solitaire mais les transpose dans une approche contemporaine. Celle ci se traduit par les touches d’ironies, les questionnements des personnages, les problématiques abordées, la construction de certaines cases pour faire réagir le lecteur. L’auteur joue avec les codes de la BD et avec ceux de Morris sans jamais quitter les terres arides de l’ouest et la rude vie des pionniers américains.

De part ses interrogations graphiques : comment représenter Lucky Luke quand on est pas Morris, Bouzard questionne notre propre approche du personnage et du récit : qu’est ce qui fait le caractère de ce héros (dont on ne connaît quasiment rien), comment le reconnais-t-on ? Est-ce à son apparence ? À ses saillies ? Au décor qui l’entoure ? À ses ennemis ? Quelle est l’essence de ce personnage et donc son potentiel à venir. Si nous ne trouvons pas toujours toutes nos réponses, la BD de Bouzard nous montre qu’il est possible de réinventer Lucky Luke, de jouer avec ce que nous savons de lui, de détourner son univers, sans lui être infidèle, au contraire.

Une très bonne BD à lire en grignotant un Balisto assis sur le canapé du salon en écoutant en fond sonore une vieille BO de notre enfance histoire de savourer l’expérience suspendue entre nos souvenirs d’aventures au fin fond de l’ouest américain et une vision acérée de notre époque, le tout enveloppé d’un élan de tendresse pour le héros d’hier et (maintenant) d’aujourd’hui.

Auteur, dessinateur : BouzardLUCKY4 (1 sur 1)
Couleur : Philippe ORY
Éditeur : Dargaud
Prix : 13,99 €

Le problème avec les femmes, par Jacky Fleming

Jacky Fleming/Dargaud

Autrefois, les femmes n’existaient pas et c’est pour cela qu’elles sont absentes des livres d’histoire.

Jacky Fleming/Dargaud

Cette petite phrase ouvre Le problème avec les femmes, petite bande dessinée de Jacky Fleming qui utilise avec maestria le seconde degré pour dénoncer l’absence des femmes tout au long du récit de notre histoire.

Au fil des pages, à raison d’un dessin par page, l’auteure nous entraîne le long d’une frise chronologique particulière évoquant les génies (De Vinci, Freud, …) et leurs multiples théories sur la taille du cerveau des femmes, leurs capacités limitées, leur propension à la folie et l’hystérie.

A travers cet ouvrage, on découvre des femmes exceptionnelles (Marie de Schurman qui avait étudié presque toutes les langues, Mary Ball et son immense collection d’insectes, la marquise du châtelet qui effectuait des divisions à neuf chiffres dans sa tête, …). L’auteure ne manque pas de noter l’aspect exceptionnel de leurs réalisations vu la petitesse supposée de leur cerveau.

Une petite BD exceptionnelle qui par l’humour et l’absurde nous fait réaliser les carences du récit historique international : nous avons construit notre imaginaire collectif, nos récits nationaux, nos célébrations en oubliant systématiquement les femmes. En les oubliant, nous avons tous grandi dans l’idée que les hommes peuvent être des « génies » contrairement aux femmes chez qui c’est (bien entendu) beaucoup plus rare !  Un problème ? Oui. Si être un génie est quasiment acquis quand on est de sexe masculin, on veut bien essayer, si une femme par siècle sort de l’ordinaire, il est facile de se dire « ce n’est pas pour moi ».

L’histoire est toujours le résultat d’un choix, on met en lumière certains éléments, certaines personnes parce qu’on ne peut pas tout raconter, chacun ne peut être spécialiste de l’intégralité des époques et des pays. Cette BD questionne nos choix et nous pousse à nous interroger sur l’histoire contemporaine, comment les « génies » nous sont ils présentés ? Qui sont-ils ? De qui parle-t-on ? Quelques petites questions qui nous permettent de moins subir l’actualité mais de la regarder en faisant un pas de côté.

>> Le problème avec les femmes a reçu le Prix humour Artémisia  de la bande dessinée féminine 2017

Titre : Le problème avec les femmes
Auteure : Jacky Fleming
Editeur : Dargaud
128 p. ; 12 €