Fille d’Œdipe de Marie Gloris et Gabriel Delmas

6pieds. Marie Gloris Bardiaux-Vaiente Gabriel Delmas photo ALB

6 pieds sous terre. Marie-Gloris Bardiaux-Vaiente – Gabriel DelmasIl n’est jamais trop tard pour recommencer. Après moultes tergiversations et une (très) longue pause dans l’écriture de ce blog, je décide de réessayer ! Parce qu’il y a tant de BD dont il est essentiel de parler, encore plus de BD qu’il est impératif de lire et surtout parce que ca vaut toujours le coup de tenter d’ouvrir un livre au hasard pour voir ce qui se passe…

Aujourd’hui, Fille d’Œdipe. Pourquoi ce livre ? Pour le titre, pour le mythe, pour le 4ème de couverture :

Toujours le sexe des femmes
a inspiré de la peur aux hommes
comme si leur chair était un monstre
dont ils devaient se protéger.
Antigone

Ça se pose là.

Alors on se lance et on entre dans un monde en noir et blanc, surtout en noir, où le trait du dessinateur, Gabriel Delmas, trahis les sentiments de l’héroïne intemporelle : Antigone. Son visage, son corps, ses cheveux, esquissés avec tendresse sont quasiment jetés au visage du lecteur comme une évidence. Oui, Antigone est une femme. Oui, elle n’est ni une harpie, ni une princesse de conte de fée. Oui, elle existe simplement, elle est là et… elle pense. Et c’est bien ce qui va poser problème. Mais là on entre dans le scénario.

Marie Gloris Bardeaux-Vaiente Gabriel Delmas 6pieds

Le dessin tourne essentiellement autour des personnages, gros plans sur les visages, sur les gestes. Opposition des corps des deux frères, apposition de celui des deux sœurs. Solitude de Créon.

Le scénario nous raconte l’histoire d’Antigone. Mythe connu, et toujours raconté à nouveau, réinterprété. Les atermoiements des personnages, leurs questionnements, leurs principes et leurs combats nous touchent, nous interrogent, nous dérangent.

http://6pieds-sous-terre.com/collection-blanche/gabriel-delmas-marie-gloris-bardiaux-vaiente-fille-d-oedipe/-u2719

 

pitchRapidement, le « pitch »
Quand Œdipe réalise qu’il a – sans le savoir– assassiné son père et épousé sa mère,
il se crève les yeux et part sur les routes avec sa fille Antigone, il meurt en exil, Antigone rentre à Thèbes. 
Ses deux fils restent à Thèbes où ils sont censés régner chacun leur tour, un an sur deux. Au bout d’un an, Polynice revient pour régner mais Étéocle refuse de lui laisser le trône. Les deux frères s’entretuent. Créon, l’oncle d’Œdipe, devient roi. Il enterre Étéocle avec les honneurs et abandonne Polynice aux corbeaux: deuil interdit. Antigone trouve absurde et injuste cette justice terrestre et elle va le dire. 

 

Antigone décide d’enterrer son frère malgré tout. La bande dessinée ne nous montre pas une jeune fille écervelée, elle ne nous montre pas non plus une femme politique accomplie. Quand les gardes viennent chercher Antigone, elle est nue. En vérité devant eux. L’honnêteté brute et femme en chair face à la politique des hommes.

On s’interroge, comment sortir du rôle qui nous est attribué à la naissance, ce « destin » dont toute la famille d’Antigone a été victime. Qui écrit cette destinée ?  Cette bande dessinée nous raconte l’histoire d’une femme qui dit non. Simplement, et avec panache.

À lire et à laisser trainer pour que tout le monde l’attrape, l’ouvre au hasard et se prenne les petites phrases d’Antigone et le noir du trait dans la tête.

poing

 

Autrice : Marie Gloris Bardiaux-Vaiente
Dessinateur : Gabriel Delmas
Éditeur : 6 pieds sous terre
59 p.
20 €

VERDAD de Lorena Canottiere, ou les couleurs de la vérité

Verdad, reparaçion y justicia

Guerre d’Espagne.
18.07.1936 – 01.04.1939
~ 400 000 morts

Dictature franquiste
1939-1975

Lorena Canottiere. Ici mêmeL’histoire commence dans un petit village espagnol. Retour au bercail pour Verdad. Mais pas de douceur, de mélancolie nostalgique. Quelques gestes simples, elle revient pour la guerre.

Face au franquisme, de jeunes républicain·e·s, communistes, anarchistes, résistant·e·s, prennent les armes. Cette histoire nous raconte ce combat d’un pays mais aussi la bataille personnelle de Verdad. La poursuite de l’image de sa mère partie trop tôt, la fuite de sa grand-mère incarnation carcan de l’immobilisme. La politique d’un côté, la morale de l’autre, et Verdad, la vérité, à construire. Enfin, toujours, cette image du Monte Verità, où sa mère a vécu, inventant une nouvelle manière de vivre. Cet endroit qui peu à peu devient la métaphore d’un avenir possible, l’incarnation d’un mieux. L’espoir. Objectif ? Ou mirage ?

L’histoire nous parle aussi de philosophie. Pourquoi se battre ? Comment savoir que le combat est fini ? Verdad c’est la lutte incarnée. La jeune femme est devenue résistance.

Lorena Canottiere nous attire dans son dessin au crayon grâce à une explosion de couleurs, un trait incandescent où les tons chauds se répondent à l’intérieur même des personnages. Le trait vif s’arrondit pour raconter la forêt, la montagne. Le traitement des éléments végétaux du décor évoque parfois l’art nouveau ou les estampes japonaises, il est précis et pourtant entièrement sauvage.

Par endroits, l’incendie s’éteint, s’essouffle et laisse place à de grandes planches noires et blanches avec quelques touches de rouge, de bleu. Passages proches de la fable où l’autrice s’éloigne du récit pour entrer dans l’aphorisme. Respiration.

Pour cette BD, Lorena Canottiere a reçu le Grand Prix Artemisia qui récompense chaque année  un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes afin de faire émerger les talents féminins dans le paysage de la BD aujourd’hui. Leurs sélections sont toujours très chouettes. L’année dernière, Le problème avec les femmes avait obtenu le prix Humour Artemisia, je vous en parlais ici.

Un livre incandescent qu’on a envie de relire pour le toucher des pages, la beauté lumineuse du dessin, les méandres des histoires qui se mêlent et se démêlent au fil de planches explosives et d’une écriture sobre. N’hésitez plus !

Lorena Canottiere/Ici même

Scénariste/Dessinatrice/Coloriste : Lorena Canottiere
Éditeur : Ici même
160 planches