La princesse guerrière, un conte inspiré du floklore russe d’Alexander Utkin

C’est beau. J’ai acheté cette BD presque par hasard, parce que sa couverture solaire et sa promesse d’aventure semblaient correspondre à ce qui manquait dans cette journée de bitume gris. Et les couleurs éclatantes de la couverture tiennent leurs promesses à l’intérieur. Dès la première page, Gamaïoun, un oiseau magique bleu et doré nous annonce qu’il va nous raconter une histoire, et on se laisse emporter.

La bande dessinée se découpe en chapitres comme autant d’histoires qui assemblées créent un univers merveilleux : La fille, dans la cabane sur pattes de poulet, le cadet, tu perdras ta tête…
La construction visuelle est mise au service de l’histoire, son rythme, ses mystères et ses paysages. Quand le scénario, étonne, interroge ou émerveille, l’auteur déploie de grandes cases qui nous happent au côté des personnages. Quand les actions s’accélèrent ou s’enchaînent il divise parfois sa page en plusieurs petites cases comme autant de strips d’un dessin animée. Les couleurs varient aussi de la forêt magique au château du roi de l’île du Sud. Il s’envole, s’efface et réapparait dans de superbes effets de transparence ou alors s’assagit, s’aplatit et les couleurs sont plus franches, les lignes plus définie. Le dessin nous fait passer d’un univers à un autre.

Mais que raconte ce livre ? Des aventures de chevaliers, de méchante belle mère, de pomme d’or, de courage, d’amour, d’entraide, de soldats en bois et d’oiseau-nagaï. Jouant des codes du conte, du mythe, ou du récit épique, l’auteur nous entraîne avec lui à la suite de ses personnages et de leurs quêtes. Les bons sont testés et récompensés (mais pas tout de suite), les mauvais sont punis (mais pas toujours).

J’aime les récits fondateurs, les mythologies, les arbres de contes. Et ce livre nous happe, nous plonge dans l’extraordinaire, le différent. Baba Yaga, sorcière-magicienne puissante, loyale et méfiante au coeur du livre semble tenir les fils du destins des autres personnages et les regarde évoluer autour d’elle.

Je ne me lasse pas de regarder les dessins aux couleurs oniriques et éclatantes où chaque case ou presque pourrait être encadrée dans un cadre doré et affichée sur un mur blanc dans un rayon de soleil.

Et ce superbe bouquin est sélectionné au Festival d’Angoulême : Sélection jeunesse 12-16 ans !

Auteur/dessinateur : Alexander Utkin
Éditeur : Gallimard bande dessinée
163 p.

La fille dans l’écran par Lou Lubie et Manon Desveaux

par Lou Lubie et Manon Desveaux. MarabullesMerveille, pépite, douceur. Une BD doudou à ranger au pied de son lit pour la relire quand on a un coup de mou, un coup de blues, un coup de cœur,…

Ça faisait bien longtemps que je n’étais pas sortie aussi heureuse d’une bande dessinée. Oui, je « sors » des bandes-dessinées après avoir plongé dedans avec plus ou moins de succès. Celle-ci m’a happée, enveloppée. Les deux héroïnes Coline et Marley m’ont entraînée dans leur relation, leurs quotidiens, leurs questionnement, leurs envies et leurs doutes. Leurs envies de créer aussi, par la photo ou le dessin, elles saisissent le monde de biais, selon leur point de vue.

Cette Bd est construite à deux « voix ». Les planches en noir et blanc de Lou Lubie alternent avec celles aux couleurs automnales de Manon Desveaux. Les conversations par messagerie instantanées sont très bien représentées, elles pop naturellement au fil de l’histoire comme elles le font dans nos vies aujourd’hui. Cette conversation avec quelqu’un à l’autre bout du monde, parfois décousue mais qui ne cesse jamais et s’insère dans notre quotidien avec naturel, évidence même. Comme un fil continu, intime au fond de notre poche.

 

Bref je n’en dis pas plus, une bande dessinée à lire pour se faire du bien, toute douce, faite de quotidien et d’échanges.

Autrices : Lou Lubie, Manon Desveaux
Illustratrices : Lou Lubie, Manon Desveaux
Éditeur : Marabout
Collection : Marabulles
186 p.

 

 

 

Les filles de Malory School d’Enid Blyton, le goût des bibliothèques roses

Enid Blyton/Bibliothèque RoseSplendeur de l’enfance ! Douceur des pages qu’on tourne calé·e sur son oreiller avant de se planquer sous la couette pour finir les « dernières lignes » quand il faut éteindre la lumière. Indignation, amour, amitié, joie, peur, angoisse parfois, complicité souvent. Vagues d’émotions qui donnaient à la vie un parfum d’aventure qu’on essayait, qu’on essaye encore, de recréer dans le monde réel parce que, tout le monde le sait, la vie devrait ressembler à un livre.

 

Ce sont toutes ces sensations que je retrouve, debout dans le métro, mon bibliothèque rose à la main, plongée dans les histoires de la joyeuse bande des filles de Malory School!

maloryschool

Géraldine (ma préférée de tous les temps : brillante, avec une mémoire à tout épreuve, espiègle, franche – parfois trop – toujours ironique), Dolly (l’héroïne sage et bienveillante en proie parfois à des accès de colère qui ne m’ont jamais vraiment convaincue de son humanité réelle), Édith (la bonne copine, toujours présente, toujours discrète et qu’on a envie de voir s’épanouir, prendre plus de place), Irène et Bella (les artistes qu’on admire tant la pratique de leur don semble facile, elles sont déjà brillantes à 13 ans et ne feront que s’améliorer tout au long des œuvres, impossible de m’identifier mais fascinée par leurs âmes artistiques et distraites), Brigitte (la jeune fille niaise, imbue d’elle même, orgueilleuse, inconsciente de sa propre insipidité – un peu simple quand même), … On s’identifie tour à tour aux personnages en fonction des jours, des moments, des aventures…

Toutes ces filles (un peu stéréotypées hein, mais petite c’est le scénario qui m’intéressait et, en grande lectrice, je ne retenais que ce que je voulais – Enfin c’est ce que j’ai cru jusqu’à ce que je commence à déconstruire des schémas venus de « nulle part » à l’âge adulte…)  se retrouvent en pension et apprennent seules, loin des parents (le rêve !) à se débrouiller, à développer leurs talents, à vivre en communauté, … Malory School, ce petit coin de Paradis.

Je ne saurai dire si ces livres plairaient encore aujourd’hui, ils doivent être délicieusement désuets, Malory School n’est pas Poudlard, mais les relire entre deux stations de métro fait l’effet d’une machine à remonter le temps. Celui de l’odeur du papier, des yeux plissés pour déchiffrer, de l’imagination les yeux fermés, de l’insatiabilité littéraire.

Petit bonheur.

matilda

VERDAD de Lorena Canottiere, ou les couleurs de la vérité

Verdad, reparaçion y justicia

Guerre d’Espagne.
18.07.1936 – 01.04.1939
~ 400 000 morts

Dictature franquiste
1939-1975

Lorena Canottiere. Ici mêmeL’histoire commence dans un petit village espagnol. Retour au bercail pour Verdad. Mais pas de douceur, de mélancolie nostalgique. Quelques gestes simples, elle revient pour la guerre.

Face au franquisme, de jeunes républicain·e·s, communistes, anarchistes, résistant·e·s, prennent les armes. Cette histoire nous raconte ce combat d’un pays mais aussi la bataille personnelle de Verdad. La poursuite de l’image de sa mère partie trop tôt, la fuite de sa grand-mère incarnation carcan de l’immobilisme. La politique d’un côté, la morale de l’autre, et Verdad, la vérité, à construire. Enfin, toujours, cette image du Monte Verità, où sa mère a vécu, inventant une nouvelle manière de vivre. Cet endroit qui peu à peu devient la métaphore d’un avenir possible, l’incarnation d’un mieux. L’espoir. Objectif ? Ou mirage ?

L’histoire nous parle aussi de philosophie. Pourquoi se battre ? Comment savoir que le combat est fini ? Verdad c’est la lutte incarnée. La jeune femme est devenue résistance.

Lorena Canottiere nous attire dans son dessin au crayon grâce à une explosion de couleurs, un trait incandescent où les tons chauds se répondent à l’intérieur même des personnages. Le trait vif s’arrondit pour raconter la forêt, la montagne. Le traitement des éléments végétaux du décor évoque parfois l’art nouveau ou les estampes japonaises, il est précis et pourtant entièrement sauvage.

Par endroits, l’incendie s’éteint, s’essouffle et laisse place à de grandes planches noires et blanches avec quelques touches de rouge, de bleu. Passages proches de la fable où l’autrice s’éloigne du récit pour entrer dans l’aphorisme. Respiration.

Pour cette BD, Lorena Canottiere a reçu le Grand Prix Artemisia qui récompense chaque année  un album scénarisé et/ou dessiné par une ou plusieurs femmes afin de faire émerger les talents féminins dans le paysage de la BD aujourd’hui. Leurs sélections sont toujours très chouettes. L’année dernière, Le problème avec les femmes avait obtenu le prix Humour Artemisia, je vous en parlais ici.

Un livre incandescent qu’on a envie de relire pour le toucher des pages, la beauté lumineuse du dessin, les méandres des histoires qui se mêlent et se démêlent au fil de planches explosives et d’une écriture sobre. N’hésitez plus !

Lorena Canottiere/Ici même

Scénariste/Dessinatrice/Coloriste : Lorena Canottiere
Éditeur : Ici même
160 planches

La malédiction de Gustave Babel, de Gess

– Qui est tu ?
– Je m’appelle Gustave, Gustave Babel.
– Et?
– J’ai un talent.
– Quel talent ?
– Je comprends et je parle toutes les langues.
– Et à quoi te sert ce talent ?
– À aller tuer des gens. Ici, à l’étranger, partout… Je suis au service de la Pieuvre.
– La Pieuvre ?
– Une mafia parisienne.
– Et ?
– Et un jour, le contrat s’est mal passé. L’homme que je devais tuer était déjà mort.
– Et ?
– Et j’ai commencé à rêver. C’est à que ça a pris un drôle de chemin…

 

4e de couverture. Aperçu du monde onirique et torturé dans lequel cette bédé va nous entraîner.

malediction gustave babel couvLa malédiction de Gustave Babel commence par la mort de son héros, Gustave, l’ancien assassin polyglotte. Du bas des marches de l’escalier de sa villa Argentine où il agonise, il nous entraîne dans un monde de souvenirs et de rêves.

Paris avant la première guerre mondiale, les contrats pour « La Pieuvre », les voyages « d’affaires », les champs de batailles, les lits des prostituées… Souvenirs précis d’un assassin exceptionnel, ancrés dans des ressentis, dans une époque. Paradoxes. L’assassin de sang froid est épris de poésie, son regard se pose avec douceur sur ses contemporains comme ses victimes. Ses souvenirs évoquent tous un vide, la recherche de la mémoire. Gustave Babel sait qu’il a oublié. Mais quoi ?

L’histoire, construite en chapitres, s’étire sur des planches au couleurs pâles et sombre. Les souvenirs gris, verts, parfois jaunes alternent avec les rêves bleu marine parfois complètement noirs. Gess joue sur les teintes pour créer des unités narratives se détachant de la logique du temps ou de la chronologie. On est emporté dans cette histoire comme on vagabonde dans nos pensées. L’auteur jongle avec les codes du conte fantastique, du thriller, du roman, accompagnant le scénario d’un dessin extrêmement fin aux traits réalistes.

GESS/DELCOURT

Une véritable plongée dans les rues de Paris au début du siècle. Une quête de sens qui nous entraîne, par les yeux du héros, à la rencontre de personnages que l’on croise le temps d’un échange, d’une nuit, d’une mission. Le tout entrecoupé de poésie, le grand Charles, le vrai, Baudelaire, accompagne le récit, laissant flotter ses mots autour des cases dessinées à la main. Un périple intérieur raconté en camaïeu de couleur.

Une très belle BD qui laisse rêveur quand on la repose. En attendant d’y replonger.

 

Scénario : Gess
Dessin : Gess
Couleurs : Gess
Éditeur : Delcourt
Planches : 189